teodora cosman

« Des la naissance, l’être humain est confronté au problème de la relation entre ce qui est objectivement perçu et qui est subjectivement conçu. … L’aire intermédiaire à laquelle je me réfère est une aire, allouée à l’enfant, qui se situe entre la créativité primaire et la perception objective basée sur l’épreuve de réalité.(1) »

S’appuyant sur une archive de photographies de famille, mon travail pictural porte sur la question de la ‘surexposition’ en tant que disparition de l’image sous ses divers déclinaisons : image – surface et sa périssabilité physique ; image – ressemblance et le jeu entre identité et altérité, mémoire et oubli que celle-ci implique ; enfin ‘image’ – métaphore de la disparition de l’individu et du monde. Ce travail, qui se déroule dans le cadre d’une recherche doctorale entamée en 2011, pose des multiples questions par rapport à l’engagement et à l’éthique du chercheur vis-à-vis son objet d’étude .
En comparant le travail de l’artiste avec un opus alchymicum on peut dire que les ‘sources’ sur lesquelles celui-ci s’appuie – documents, photographies, éléments biographiques, textes théoriques ou références culturelles – en constituent la prima materia sur laquelle s’opère une transformation mystérieuse ayant pour résultat l’œuvre même. Comme tout bon alchimiste le sait, il ne s’agit pas seulement d’un processus extérieur, d’un agissement sur la matière, mais aussi une profonde transformation intérieure est nécessaire pour que l’œuvre soit accomplie. Autrement dit, le travail travaille l’artiste, en même temps que l’artiste travaille la matière, et c’est là, je crois, la recherche.
En acceptant que l’objet de la recherche – ses moyens, ses résultats – est le travail même de l’artiste, comment porter un regard ‘objectif’ sur quelque chose qui n’est pas entièrement hors soi ; comment externaliser et conférer une visibilité sinon une compréhensibilité à des processus qui nous sont, en grande partie, absconses ?
Selon D.B. Winnicott, il existe une aire intermédiaire d’expérience, un ‘espace’, physique et psychique en même temps – où l’objet est expérimenté comme étant ni entièrement dedans ni entièrement dehors – et qui pose les bases de toute relation avec le monde extérieur. Cette aire, inauguré par les premiers jeux du petit enfant, continue tout au long de la vie dans la propension humaine pour faire de l’art, de la philosophie et participer aux expériences religieuses. En suivant la suggestion winnicottienne, on peut considérer l’atelier comme un analogue de cette ‘aire d’expérience intermédiaire’, un playground ou l’artiste peut jouir de « l’illusion qu’une réalité extérieure existe, qui correspond à sa propre capacité de créer » et qui ne sera pas mise à l’ ‘épreuve de réalité’.
Pendant la résidence, j’aimerais continuer ma réflexion entamée lors des expositions Petites Histoires (2014), The Cloud of Unknowing et Les Disparues (2015) autour des questions d’exposition de la recherche , en essayant (utopiquement) de créer des dispositifs capables d’externaliser en partie les processus mystérieuses qui se passent dans l’atelier invisible que l’artiste porte en soi.

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